Turbulences ! Compagnie Théâtrale - Les chapiteaux turbulents - paris 17e

Turbulences ! Une association hors normes


Turbulences, reportage Baptiste Antoine

À Paris, l’association Turbulences ! révélée par Hors Normes, le dernier film d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache, permet à des adultes souffrant d’autisme de s’insérer professionnellement. Articulée autour de la création artistique et d’un projet pédagogique individualisé, elle offre des formations, et un travail à des adultes souvent exclus de la société. Un lieu inspirant et atypique, rempli de vie et de défis. 

Porte de Champerret à Paris, à deux pas de la frénésie du périphérique, un portail est toujours ouvert. Au bout d’une allée bordée d’arbres, deux chapiteaux multicolores dénotent avec les immeubles environnants. Sur le chemin goudronné, deux garçons pressés courent à vive allure. Malgré la grève des transports, « chacun a fait l’effort de venir » note avec bienveillance Philippe Duban directeur artistique et fondateur de la compagnie. Depuis sa vieille roulotte qui lui sert de bureau, il veille à la pérennité de son projet. 

Ils s’appellent Santiago, Charline, Benjamin, Tatiana ou bien encore Charles. Ils ont entre 19 et 53 ans. Ils sont vêtus de sweats, jeans, baskets et ressemblent à n’importe qui. Pourtant, tous sont des « Turbulents ». Philippe Duban raconte l’origine de ce surnom : « Il fait écho aux Wolof au Sénégal. Ils appellent ainsi les enfants autistes. Dans leur croyance, leur turbulence est le signe d’une grande noblesse. Ils portent en eux l’âme de leurs ancêtres ». Une énergie canalisée ici par l’art et l’accueil du public.

​Donner la parole

« Je suis devenu orateur » clame le turbulent Arnaud, pull beige remonté jusqu’au cou. C’est l’heure pour certains de l’atelier d’art oratoire. « Qu’est-ce que ça veut dire adresser la parole à quelqu’un ? » demande Léa qui anime le cours avec Guénolé sous le grand chapiteau. Cet espace conçu par Stéphane Laisné du cirque équestre Salam Toto, peut accueillir les soirs de spectacle jusqu’à 400 personnes. Une large piste en bois est entourée de gradins au bas desquels Philippe Duban a fait graver des extraits de poésies d’Antonin Artaud, Michel Foucault et Tristan Tzara. Au centre, les comédiens s’échauffent et se trémoussent. S’ensuivent des exercices d’intonation, d’attention, de regards. Ils crient, piaffent, murmurent, éclatent de rire. L’enjeu est de jouer sérieusement son émotion. De raconter l’énergie qui les traverse et de l’offrir, seul ou en chœur, à un public, à un camarade. De créer du lien. Tout l’enjeu pédagogique est là. 

À la pause, Cyril, resté silencieux pendant tout l’atelier, se dirige spontanément vers le piano. La musique c’est son langage. Il se met à jouer une mélodie d’Eddy Mitchell. Arnaud se joint à lui et chante « Oh Daniela ! La vie n’est qu’un jeu pour toi ». Surgit Cristal cachée derrière les rideaux en velours. Elle danse autour d’eux. Ce trio improvisé répète un extrait de Surprise Party, le prochain spectacle de la compagnie prévu pour fin février.

​Le sens de l’accueil

Midi, dans les cuisines installées derrière le petit chapiteau, c’est l’agitation. La brigade finit de préparer le repas. « Tout est fait maison avec des produits frais livrés chaque matin » explique Pierre, le chef en charge des fourneaux. Il encadre avec Maya les commis de cuisine enthousiastes. Ici, on râpe, on coupe, on cuit, on goûte, on compose, on crée. Au menu, « les saveurs du monde ». Une thématique votée démocratiquement par les Turbulents. Un voyage par les papilles entre jus d’orange pressé, poulet aux épices et une panacotta à l’ananas. Le repas est prévu pour la cinquantaine de personnes présentes au quotidien sur le site. 

Comme au restaurant, la commande est prise une fois les convives installés. Sur chaque tablée les groupes se mélangent. Les serveurs Turbulents s’assurent des spécificités alimentaires de chacun. « Qui est végétarien ? » demandent-ils. Les plats s’enchaînent. Le pain est servi avec une pince. Le plat terminé est immédiatement débarrassé. « C’était bon ? » s’inquiète l’apprenti serveur. Sans attendre la réponse, il file en cuisine. Les soirs de spectacles, la même équipe cuisine et sert le public. Une expérience inhabituelle qui permet de montrer aux visiteurs les ressources et les compétences de ces salariés singuliers. 

​Des ateliers en lien avec le monde extérieur

Autour des deux chapiteaux, chaque atelier est installé dans des préfabriqués décorés de graffitis. À la communication, Manu et Alexandre, lunettes sur le nez, ont les yeux rivés sur leurs Mac. Ils s’affairent avec Maxime, leur moniteur, à élaborer la carte de vœux commandée par la Mairie de Paris à l’association. À l’atelier d’écriture, Thomas, Arnaud, David et Adrien, journalistes turbulents, écrivent leurs articles pour le Papotin.  Un journal atypique plein d’humour et de poésie écrit par des personnes autistes. Une initiative de l’hôpital de jour d’Antony qui fête cette année ses 30 ans. Ils racontent fièrement quelques interviews qu’ils ont réalisées : « J’ai interviewé Jacques Chirac et Leïla Bekhti » dit l’un, « Moi, Nicolas Sarkozy, Vincent Cassel et Marc Lavoine » renchérit l’autre. Leur préféré ? Pour David, c’est le Juste Stéphane Hessel. « Il racontait si bien la poésie ».

Plus loin, Ibrahima la blouse tachée de peinture, sort avec fracas laver ses pinceaux. Il est en pleine création. Du sol au plafond, l’endroit est dédié à la matière, à la couleur. « Ibrahima est un expressionniste » sourit Magali, monitrice et plasticienne. « Son grand plaisir, c’est de nommer les couleurs » livre-t-elle admirative. Moussa, élégamment vêtu d’un gilet et d’une cravate, est installé au fond. Méticuleux, il reproduit depuis quatre ans la même silhouette. A la manière d’un styliste, il l’habille du bout du crayon d’une variation infinie de costumes. L’atelier est d’ailleurs en lien avec celui de la couture. Les couleurs d’Ibrahima égayent de jolies robes et coussins fabriqués sur place. La précision du trait de Moussa se sérigraphie depuis peu à l’envie sur des tee-shirts blancs. Ces créations seront revendues sur les marchés de Noël au profit de l’association.

À 16h, les Turbulents remballent leurs affaires. Leur journée est finie. La plupart sont autonomes et rentre chez eux. « La joie passe par les pieds » s’exclame Vanessa, encore pleine d’énergie. Les journées sont ponctuées d’aphorismes drôles et poétiques. Philippe Duban les note, les publie et les affiche comme autant de Mantras : « Aujourd’hui, je roule vers un songe », « Elle avait un handicap normal », « On est trop nombreux pour être parfaits ». 

Baptiste ANTOINE

Ce lieu unique en Ile de France accueille depuis 2007 l’association Turbulences !

 Elle gère un Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT) et une Section d’Adaptation Spécialisée (SAS). Un projet ambitieux imaginé en 1992 par Philippe Duban et Howard Buten et articulé autour de la création artistique. Il répond à des carences en matière d’insertion sociale des adultes autistes. Les turbulents sont 30 travailleurs salariés de l’ESAT et 12 stagiaires en SAS, accompagnés par une quinzaine de moniteurs et d’éducateurs spécialisés. Ils interviennent sur plusieurs pôles selon un projet pédagogique personnalisé. Celui-ci est bâtit  autour de deux axes de travail : l’un technique et l’autre artistique. Par ses recherches théâtrales et socio-professionnelles, la Compagnie contribue à modifier le regard sur la maladie et accompagnent les Turbulents vers l’autonomie. Le succès de l’association lui permet de nouer des liens avec le Lucernaire, le Collège International de Philosophie et le Marché de la Poésie. Elle organise aussi des tournées en France et à l’étranger de ses spectacles vivants. La troupe a ainsi pu se produire au Festival d’Avignon, jusqu’au Théâtre Catalina Sur à Bueno Aires et en Russie.
Les Turbulents commencent leur cours hebdomadaire de trapèze

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